Alain Ducasse à L'Hôtel de Paris

Le projet livré par Patrick Jouin et Sanjit Manku ici ne peut que surprendre. Dans une salle au décor flamboyant, on aurait imaginé un parti pris créatif radical, en rupture avec le passé, pour une relecture absolument contemporaine du lieu. Il n'en est rien. Patrick Jouin et Sanjit Manku proposent une approche bien plus subtile de l'espace, où la création d'objets monumentaux et de mobiliers s'intègrent harmonieusement au classicisme de ce lieu. Ils instaurent bien plus qu'une architecture intérieure. Fruit de longs échanges avec Alain Ducasse, une nouvelle gestuelle du service est née. Orchestrant une chorégraphie des équipes et du mobilier, qui évoluent ensemble sous les yeux émerveillés des hôtes.

En pénétrant dans le restaurant, le regard est immédiatement attiré vers le plafond, où flotte une immense suspension circulaire. Celle-ci est composée de 800 pièces de verre de Murano réalisées par Aristide Najean. L'objet met l'espace en suspension. Cet anneau aux dimensions hors normes (7.5 m de diamètre) scintille d'une lueur douce et féérique. Sa forme fait écho à la fresque classique du plafond. Cette œuvre, créée au moment de la fondation de l'Hôtel de Paris en 1874 par Marie-Félix Hippolyte Lucas, représente une nymphe entourée d'angelots. Inscrite elle aussi dans une rosace, elle est le point de départ de la réflexion de Patrick Jouin et Sanjit Manku pour organiser l'espace : des cercles concentriques placés au milieu de la salle donnent à ce lieu majestueux une dimension plus humaine, moins impressionnante.
Sous la suspension, un meuble central en bois de merisier, appelé "l'Office", déploie ses ailes parées de lames métalliques à mesure que le service se déroule. Véritable scène mécanique offerte au ballet des équipes, ce meuble se révèle, se transforme avec élégance, toutes ses fonctions accompagnent les gestes de préparation qui jusqu'à présent étaient cachés du regard des hôtes.
Au sol, l'Office repose sur un anneau d'ébène, encerclant un noyau en pierre de Soie Noire qui vient clore la ligne imaginaire reliant le sol au plafond. De là, s'étend un tapis réalisé sur mesure dont le dessin révèle un ciel d'orage, fait de bleu sombre et de gris profond. Pas de motif précis ou figuratif, juste une impression de tempête, irrégulière et mystérieuse.
Tel est donc le défi de ce projet en termes d'architecture : ne pas toucher au passé, mais questionner le mythe monégasque en le confrontant à des éléments éminemment contemporains, faire entrer la lumière là où les ors soulignaient les ombres, suggérer la légèreté et la fluidité des mouvements.